« Le rêve de la grotte

« Pour échapper à la grisaille des jours, mieux vaut tenter maladroitement d’apprivoiser un rêve que de s’efforcer obstinément d’écrire la vie ».

Cette phrase d’Alain Galan, lorsque je l’ai lue dans son roman « Chafouine », paru en 2018, a été un choc, tant elle éclairait une partie souterraine de moi-même, cachée, mais si importante qu’elle m’apparait aujourd’hui comme ayant  déterminé nombre de choix dénués, a priori, de toute rationalité.

« Echapper à la grisaille », « apprivoiser un rêve »… C’est au fond, de façon intuitive, se lancer dans l’inconnu, dans l’étrangeté, à la poursuite de quelque chose que l’on ne connait pas encore, sans en analyser les raisons ni estimer le prix à payer. C’est l’exercice grisant d’une liberté à saisir.

S’il s’agit d’un coup de foudre amoureux, c’est normal. On est alors poussé violemment l’un vers l’autre sans se connaître.

Mais pour le reste… Qu’est-ce qui pousse, de façon impulsive, à s’engager dans une voie inconnue, sans examen préalable des implications et des risques, pour faire quelque chose que l’on n’a  encore jamais fait, pour vivre une situation inédite, ou encore pour sortir de sa zone de confort, comme disent les psychologues ?….

Un exemple ? Prenez une envie de grotte (parlons plutôt de nymphée, c’est plus élégant et prête moins à des jeux de mots scatologiques). Depuis la préhistoire, et sauf à vénérer quelque sainte « grottesque », ou sauf à cultiver une attirance romantique pour les fontaines miraculeuses ou les folies de jardin » XVIII ème, tout le monde (ou presque) vous dira qu’une grotte ne sert à rien – contrairement à une piscine ou un court de tennis –  et qu’il serait pure folie que de vouloir doter sa propriété d’une telle construction.

Pourtant, si, comme moi, vous avez cette envie, sans trop l’analyser, depuis plusieurs décennies, et que, brusquement, s’offre à vous l’opportunité d’édifier un nymphée dans votre jardin, vous serez, comme moi, immanquablement confronté à des interrogations sur le sens de ce projet. Vous ne vous jetterez peut-être pas sur le divan d’un psychanalyste. Quoique, beaucoup vous diront qu’une envie de grotte, « c’est loin d’être neutre… ».  Mais vous serez condamné à un minimum d’introspection. Car, construire sa grotte, c’est « apprivoiser un rêve ».

Pourquoi créer un tel univers, a priori dédié au culte de l’inutile ? Quel imaginaire personnel abriter en ce lieu ? Quels esprits y accueillir et vouloir y honorer ? De façon visible ou invisible ? Est-il destiné à une fréquentation solitaire ou plutôt à un partage d’émotions ? Comment rendre le mystère et le soupçon d’effroi qui, de façon incontournable, doivent accompagner la face sacrée de cette sorte d’oratoire personnel ?

Faire son nymphée, c’est creuser profond … pour remonter dans son subconscient, aux sources de l’émerveillement.

Et puis, si, passés l’enchantement et l’excitation de la création et de la réalisation, il ne reste de ce délire qu’un intrigant ornement de jardin, un  bel endroit frais et mystérieux où faire la sieste ou prendre l’apéro les soirs d’été avec des amis, si la fontaine  se fait rafraîchissoir pour quelques flacons de liquide ambré et pétillant, si les nymphes, faunes, satyres  et autres monstres qui y demeurent n’ont plus pour mission que d’assurer la sensualité du décor et d’accueillir quelque flûtiste jouant « l’après-midi d’un faune », ce ne serait pas un drame…

Anne-José L »